Mes connaissances en histoire, c’est un peu comme un grand vide dans lequel flottent ici et là quelques événements. Autant dire que l’histoire de l’Italie, plus précisément de la Vénétie, plus précisément des Sept Communes, tout cela n’est pas à ma portée.
Mais je me suis passionnée pour ces « Sette Comuni », une fédération vieille de plusieurs siècles, regroupement de communes dont Asiago était le chef-lieu. On y parlait le cimbre, certains le parlent encore, on y vivait pauvrement en pratiquant une forme de communisme.
(…) les ancêtres avaient fondé là une communauté autonome, une civilisation basée sur une économie rurale. – Le vin de la vie
My knowledge of history is a bit like a big void in which a few events float here and there. Suffice to say that the history of Italy, more precisely of Veneto, more precisely of the Seven Communes, all of this is not within my reach.
But I became passionate about these « Sette Comuni », a centuries-old federation, a group of municipalities of which Asiago was the capital. Cimbri was spoken there, some still speak it, and people lived there poorly while practicing a form of communism.
(…) the ancestors had founded an autonomous community there, a civilization based on a rural economy. – Le vin de la vie
Avant la première guerre mondiale, la frontière entre le Royaume d’Italie et l’Empire austro-hongrois se trouvait tout près d’Asiago : entre 1915 et 1918, les combats y ont fait rage, on parle de 1,5 million de bombes lancées sur cette région, qui n’est pas immense. Un million d’hommes s’y sont battus, et cent mille de ces combattants sont morts. Asiago a été entièrement détruite : tu rentrais chez toi, ta maison avait été bombardée et tout le reste autour aussi.
Before the First World War, the border between the Kingdom of Italy and the Austro-Hungarian Empire was located very close to Asiago: between 1915 and 1918, the fighting raged there, there were 1.5 million bombs launched in this region, which is not huge. A million men fought there, and a hundred thousand of these fighters died. Asiago was completely destroyed: you came home, your house had been bombed and everything else around it too.
Au cours de cette guerre, en 1916, Emilio Lussu, arrivant sur « l’Altipiano » pour combattre, croise ce qu’il nomme « le convoi de la douleur » : ce sont tous les habitants des Sept Communes fuyant l’ennemi. « Les paysans éloignés de leur terre étaient comme des naufragés. » Plus tard, Lussu racontera « un an sur l’Altipiano » connu aussi sous le titre « les hommes contre », récit dont Francesco Rosi a tiré le film éponyme. Mario Rigoni Stern a dit beaucoup de bien du livre, montrant moins d’enthousiasme pour le film.
During this war, in 1916, Emilio Lussu, arriving on the « Altipiano » to fight, encounters what he calls « the convoy of pain »: these are all the inhabitants of the Seven Communes fleeing the enemy. « Peasants removed from their land were like shipwrecked people. » Later, Lussu will tell « A Year on the Altipiano », « un an sur l’Altipiano » also known as « The Men Against », « les hommes contre », a story from which Francesco Rosi made the eponymous film. Mario Rigoni Stern spoke highly of the book, showing less enthusiasm for the film.
Emilio Lussu n’est ni pacifiste, ni antimilitariste, mais de nombreuses pages de son livre dénoncent l’absurdité criminelle de la guerre, les fanfaronnades non moins criminelles des gradés. La traductrice du livre, Emmanuelle Genevois, parle à propos de la guerre, dans une postface, de ce « théâtre de l’incompétence, parfois de la lâcheté de chefs criminels, et le jugement de Lussu est sévère et sans ambiguïtés. »
« Il [Lussu] raconte la vie des soldats italiens dans les tranchées et décrit l’irrationnel, le non-sens de la guerre et la discipline militaire. » — Wikipédia
Emilio Lussu is neither pacifist nor antimilitarist, but many pages of his book denounce the criminal absurdity of war, the no less criminal boasting of the officers. The translator of the book, Emmanuelle Genevois, speaks about the war, in an afterword, about this « theater of incompetence, sometimes of the cowardice of criminal leaders, and Lussu’s judgment is severe and unambiguous. »
« He [Lussu] tells the story of the life of Italian soldiers in the trenches and describes the irrational, the meaninglessness of war and military discipline. » — Wikipedia
Le nom de Cadorna revient à plusieurs reprises dans « les hommes contre ». Wikipédia nous dit que Cadorna, maréchal d’Italie, réorganisa l’armée royale d’Italie à la veille de la première guerre mondiale, et en fut le chef d’état major pendant les 30 premiers mois. Il avait un pouvoir immense. « Sous sa direction, l’armée italienne a massivement recours aux pelotons d’exécution et aux décimations des soldats qui souhaitent la fin de la guerre. Il serait à l’origine de 750 condamnations et 270 exécutions sommaires. »
Dans son livre, Emilio Lussu attribue à Ottolenghi ces paroles : « Nos ennemis naturels, ce sont nos généraux. Si, dans les parages, se trouvait le général Cadorna, ce serait notre ennemi principal et il ne s’agirait que de le repérer. »
Cadorna’s name comes up several times in « The Men Against » Wikipedia tells us that Cadorna, Marshal of Italy, reorganized the Royal Italian Army on the eve of the First World War, and was its chief of staff for the first 30 months. He had immense power. « Under his leadership, the Italian army massively resorted to firing squads and decimations of soldiers who wanted an end to the war. He is said to be behind 750 convictions and 270 summary executions. »
In his book, Emilio Lussu attributes these words to Ottolenghi: « Our natural enemies are our generals. If General Cadorna were nearby, he would be our main enemy and we would just have to locate him. »
En 2011, en Sardaigne, à Orgosolo, Paul et moi sommes passés par la rue Cadorna : Orgosolo est une ville de « murales », de peintures murales. Je n’avais pas la place pour faire une photo d’ensemble.
Voici un commentaire édifiant sur ce chef de guerre, sur sa responsabilité :
In 2011, in Sardinia, in Orgosolo, Paul and I passed through Cadorna Street: Orgosolo is a town of “murals”, of wall paintings. I didn’t have the space to take an overall photo.
Here is an edifying comment on this war leader, on his responsibility:
« Cadorna est fils de chien, il en a fait tuer tant et tant et il n’en souffre pas, alors que nous en souffrons. 571 000 soldats italiens sont morts, 451 645 sont invalides et mutilés, 117 000 disparus… 210 000 soldats furent fusillés et condamnés parce qu’ils voulaient mettre fin à la guerre. »
« Cadorna is the son of a dog, he has had so many killed and he doesn’t suffer from it, while we do. 571,000 Italian soldiers died, 451,645 were disabled and mutilated, 117,000 missing… 210,000 soldiers were shot and condemned because they wanted to end the war. »
Asiago est maintenant une fort jolie ville, très touristique, éloignée de la frontière puisque le redécoupage de celle-ci en 1918 la fait passer maintenant bien plus au nord (malheur aux vaincus !).
Mario Rigoni Stern y est né en 1921 : la vie y était déjà difficile avant le conflit, et la guerre a laissé son lot de ruines. Une nouvelle économie de la misère s’y développe : on récupère le métal des douilles des balles et des obus pour le vendre. Bien sûr les obus peuvent exploser et de nouveaux noms viennent grossir encore l’interminable liste des morts.
Asiago is now a very pretty town, very touristy, far from the border since the redistribution of the latter in 1918 now takes it much further north (woe to the vanquished!).
Mario Rigoni Stern was born there in 1921: life there was already difficult before the conflict, and the war left its share of ruins. A new poverty economy is developing there: metal from bullet and shell casings is recovered to sell it. Of course the shells can explode and new names add to the endless list of dead.
Mario y connaît une enfance pauvre mais heureuse, même s’il lui arrive, en jouant dans les tranchées, de découvrir des restes humains. Souvent dehors, en contact avec la nature, c’est tout naturellement qu’il devient chasseur alpin.
Mario had a poor but happy childhood there, even if he happened to discover human remains while playing in the trenches. Often outdoors, in contact with nature, it is quite natural that he becomes an alpine hunter.
Il n’a pas dix-huit ans au début du deuxième conflit mondial, il est sergent, et il passe des années à combattre. Gravement traumatisé par ce qu’il a vécu, l’intensité des combats, la mort de ses camarades, la faim, le froid, revenu dans des conditions extrêmement difficiles, il décide d’écrire plutôt que d’oublier, faisant une démarche comparable à celle de son ami Primo Levi. Mario aussi dénonce l’horreur de la guerre. De fasciste, il est devenu pacifiste. « Le sergent dans la neige », son premier livre, connaît un grand succès.
He was not eighteen years old at the start of the Second World War, he was a sergeant, and he spent years fighting. Seriously traumatized by what he experienced, the intensity of the fighting, the death of his comrades, the hunger, the cold, returning to extremely difficult conditions, he decided to write rather than forget, taking a comparable approach to that of his friend Primo Levi. Mario also denounces the horror of war. From a fascist, he became a pacifist. « Le sergent dans la neige », « The Sergeant in the Snow, » his first book, was a great success.
Mussolini a fait construire l’ossuaire très (trop) visible à Asiago.
« Si les 50 000 Italiens et Austro-Hongrois qui sont là-dedans pouvaient sortir et dire ce qu’ils pensent, beaucoup d’idées reçues seraient renversées ! La vérité n’est assurément pas faite de coups de clairon et de drapeaux qui claquent au vent. »
— Mario Rigoni Stern « Le Courage de dire non »
Mussolini had the very (too) visible ossuary built in Asiago.
« If the 50,000 Italians and Austro-Hungarians who are in there could come out and say what they think, a lot of preconceived ideas would be overturned! The truth is certainly not made up of bugles and flags flapping in the wind. »
— Mario Rigoni Stern « Le Courage de dire non », « The Courage to Say No »
C’est par Mario Rigoni Stern que nous avons découvert ce lieu où il a passé toute sa vie et où il est mort en 2008. Cet homme s’est toujours proclamé « narrateur » et pas « écrivain », trouvant dans les témoignages qu’il a écrits assez de matière sans avoir à inventer des romans.
It was through Mario Rigoni Stern that we discovered this place where he spent his entire life and where he died in 2008. This man has always proclaimed himself a « narrator » and not a « writer », finding in the testimonies he has write enough material without having to invent novels.
Tu traverses Asiago, tu contournes le petit aérodrome et la petite route commence à monter : c’est là que tu trouves la maison que Mario a construite.
You cross Asiago, you go around the small airfield and the small road starts to go up: this is where you find the house that Mario built.
Avant d’aller à Asiago, j’avais lu « le sergent dans la neige », puis « Altipiano, cheminer avec Mario Rigoni Stern » du photographe Loïc Seron. Ainsi Paul et moi nous nous sommes préparés à aller rendre visite à Mario Rigoni Stern, cet homme remarquable, comme on irait saluer un ami, visite qui s’est terminée sur sa modeste tombe.
Before going to Asiago, I had read « le sergent dans la neige », « The Sergeant in the Snow », then « Altipiano, cheminer avec Mario Rigoni Stern », « Altipiano, walking with Mario Rigoni Stern » by photographer Loïc Seron. So Paul and I prepared to go and visit Mario Rigoni Stern, this remarkable man, as we would go to greet a friend, a visit which ended at his modest grave.
Ce jour-là, je garde avec moi le livre de Loïc Seron, et nous nous dirigeons après notre pique-nique vers le « laghetto » de Lumera afin d’y faire une pause lecture. C’est amusant de feuilleter le livre de Loïc Seron, venu rencontrer Mario Rigoni Stern avant sa mort, revenu ensuite photographier ces magnifiques paysages. Mais c’est une autre surprise pour nous quand nous trouvons dans le livre le cliché que je viens de prendre moi-même ! Loïc Seron a marché dans les pas de l’écrivain, pas d’erreur, et à notre tour nous suivons le même cheminement !
That day, I kept Loïc Seron’s book with me, and after our picnic we headed to the « laghetto » of Lumera to take a reading break. It’s fun to leaf through the book by Loïc Seron, who came to meet Mario Rigoni Stern before his death, then returned to photograph these magnificent landscapes. But it’s another surprise for us when we find in the book the photo that I just took myself! Loïc Seron followed in the footsteps of the writer, no mistake, and in our turn we are following the same path!
J’ai été très émue par nos excursions à Asiago. Et de marcher sur les pas d’Emilio, de Mario et de Loïc… Et le récit de notre voyage n’est toujours pas terminé !
I was very moved by our excursions to Asiago. And to follow in the footsteps of Emilio, Mario and Loïc… And the story of our journey is still not over!
Bibliographie Bibliography
Emilio Lussu
« les hommes contre »
Mario Rigoni Stern
« Le vin de la vie »
« Le sergent dans la neige »
« Le Courage de dire non »
Loïc Seron
« Altipiano, cheminer avec Mario Rigoni Stern »