Je vais à l’hôpital à pied : je l’ai déjà fait deux fois, quatre kilomètres, ça fait du bien. Je quitte mon squat, avec, la première fois, une feuille sur laquelle j’ai décalqué un plan rudimentaire sur l’écran de l’ordinateur. Je n’ai toujours pas de smartphone, la vie est bien plus aventureuse comme ça !
I go walking to the hospital: I’ve already done it twice, four kilometers, it feels good. I leave my squat, with, for the first time, a sheet of paper on which I have traced a rudimentary plan on the computer screen. I still don’t have a smartphone, life is much more adventurous that way!
Je marche le long du tram sur l’avenue Berthelot, puis sur le boulevard Jean XXIII. Si je me sentais trop fatiguée, je n’aurai qu’à monter dans la première rame qui passera à portée… Mais tout va bien, marcher est très agréable.
Arrivée à l’immense carrefour de Granges Blanches (l’hôpital Édouart Herriot, après avoir dépassé le Centre Léon Bérard, centre de lutte contre le cancer, ça y est, me voici dans le quartier d’innombrables hôpitaux), la difficulté est de trouver la rue Trarieux. Mon plan peu détaillé ne me précise pas que je dois la rejoindre via la rue du professeur Florence, mais j’ai bien noté que je dois continuer pratiquement tout droit dans le prolongement du boulevard. Je la rejoins sans difficulté.
I walk along the tram on Avenue Berthelot, then on Boulevard Jean XXIII. If I felt too tired, I would just have to get on the first train that comes within reach… But everything is fine, walking is very pleasant.
Arriving at the huge crossroads of Granges Blanches (the Édouart Herriot hospital, after having passed the Center Léon Bérard, center for the fight against cancer, that’s it, here I am in the district of countless hospitals), the difficulty is to find rue Trarieux. My sketchy plan does not tell me that I have to reach it via rue du Professor Florence, but I have noted that I have to continue almost straight along the extension of the boulevard. I join it without difficulty.
La rue Trarieux se termine par une montée un peu raide, mais j’ai tout mon temps : un matin, à huit heures et demie, un médecin pète-sec m’a signifié que les visites, c’est à partir de midi, c’est non négociable. Dommage pour Paul, mais j’y vois maintenant un avantage, j’ai plus de temps pour me préparer… Et je prends le temps de marcher…
Après avoir traversé un quartier tranquille, la rue Trarieux se jette dans le boulevard Pinel comme un affluent dans le fleuve.
Rue Trarieux ends with a somewhat steep climb, but I have plenty of time: one morning, at half-past eight, a petty doctor told me that visits are from noon, it is non-negotiable. Too bad for Paul, but I now see an advantage, I have more time to prepare… And I take the time to walk…
After passing through a quiet neighborhood, Rue Trarieux flows into Boulevard Pinel like a tributary to the river.
Je vois bientôt ma destination, le bâtiment neurologique. Je passe devant la rue où j’ai garé la voiture, gratuitement. Ici, le parking d’hôpital coûte très cher mais l’argent ne va ni à l’hôpital ni au personnel, alors j’évite d’enrichir Vinci ou son équivalent.
Je vous dois une explication : le plus souvent je dors une nuit sur deux à Lyon, une nuit sur deux chez nous, pour éviter les déplacements. Mais il me faut passer à la maison, ne pas la déserter, continuer à l’habiter.
Lolo a rentré les plantes qui craignent le gel, à moi de les arroser. Je pourrais demander à Lolo de le faire, bien sûr, mais il me faut continuer à laisser mon empreinte ici, à y habiter dans ce contexte différent, sans Paul.
I soon see my destination, the neurological building. I pass in front of the street where I parked the car, for free. Here, hospital parking is very expensive but the money goes neither to the hospital nor to the staff, so I avoid enriching Vinci or its equivalent.
I owe you an explanation: most often I sleeps every other night in Lyon, every other night at home, to avoid traveling. But I must go home, not desert it, continue to live there.
Lolo brought in the plants that fear frost, it’s up to me to water them. I could ask Lolo to do it, of course, but I have to continue to leave my mark here, to live there in this different context, without Paul.
Et un dessin posté par Bernadette !
And a drawing posted by Bernadette!
Non, je n’oublie pas de vous parler de Paul (qui va mieux, qui va mieux, qui va mieux) mais je dois prendre soin de moi, et voilà pourquoi je tente cette page de « littérature » sans prétention.
J’ai besoin d’écrire, de mettre des mots bien agencés, de les choisir, de les placer au bon endroit. Les mots me ressourcent.
No, I don’t forget to tell you about Paul (who’s better, who’s better, who’s better) but I have to take care of myself, and that’s why I’m trying this page of unpretentious « literature ».
I need to write, to put words well arranged, to choose them, to place them in the right place. Words recharge my batteries.
Annabelle enseigne le yoga. Elle est venue avec Arnaud pour une visite, Paul était fatigué, il dort mal, il ne rêve plus que de partir ailleurs…
Elle s’est mise à lui parler tout doucement, et ses mots, rien que ses mots, ont eu un effet extraordinaire : nous avons vu Paul se détendre, retrouver sa sérénité, une respiration lente et confortable.
Plus tard, elle a envoyé un enregistrement vocal qu’elle a fait pour Paul, une séance de relaxation qui a le même effet – bon, elle est en arrêt à cause d’un pied cassé, alors elle a le temps dit-elle.
Annabelle teaches yoga. She came with Arnaud for a visit, Paul was tired, he doesn’t sleep well, he only dreams of going somewhere else…
She began to speak to him very gently, and her words, just her words, had an extraordinary effect: we saw Paul relax, regain his serenity, breathing slowly and comfortably.
Later, she sent a voice recording she made for Paul, a relaxation session that has the same effect – well, she’s off work with a broken foot, so she has time, she says.
Des Annabelle, il y en a tant autour de nous ! Des gens généreux sur lesquels on peut s’appuyer. Je les remercie tous ici, encore une fois, je n’aurai jamais fini de les remercier.
There are so many Annabelles around us! Generous people you can rely on. I thank them all here, once again, I will never finish thanking them.
Un soir, au moment de partir de l’hôpital, je reçois un appel de Aude dont la fille a peut-être le covid. Hors de question d’aller dormir chez elle dans ces conditions ! Le temps d’arriver à l’arrêt de tram (le soir, pas envie de marcher) Séb m’a trouvé une solution de remplacement : je vais chez Élisabetta, plus loin à Villeurbanne, et ça me prend un moment. Mais je suis reçue comme une princesse – je n’oublierai jamais le risotto aux champignons et le pavé de saumon ! – et je passe une soirée d’autant plus plaisante qu’elle a été improvisée.
One evening, as I was leaving the hospital, I received a call from Aude whose daughter may have covid. There is no question of going to sleep at her house in these conditions! By the time I got to the tram stop (in the evening, I don’t want to walk) Séb found me an alternative solution: I went to Élisabetta’s, further away in Villeurbanne, and it took me a while. But I was received like a princess – I will never forget the mushroom risotto and the salmon steak! – and I have an evening that is all the more pleasant because it was improvised.
Test négatif, je peux retourner chez Aude !
Negative test, I can return to Aude!
On se sent devenir fous, Paul et moi, quand, par exemple, on demande le bassin, et qu’il se passe vingt minutes avant de l’obtenir. C’est le moment de « la relève », occasion de vives discussions et de grands éclats de rire qui arrivent jusqu’à nous, puis des « au revoir » qui n’en finissent pas : le staff a besoin de ces moments pour décompresser, les conditions de travail sont trop dures.
We feel like we’re going crazy, Paul and I, when, for example, we ask for the bedpan, and it takes twenty minutes before we get it. It’s the moment of « handover », occasion for lively discussions and great bursts of laughter that reach us, then « goodbyes » which never end: the staff needs these moments to decompress , the working conditions are too harsh.
Alors on a décidé de demander l’hospitalisation à domicile : un lit de libre pour l’hôpital, et pour moi la fin des trajets longuement préparés – j’apporte quoi, vêtements, nourriture…? Les infirmières à qui nous en avons parlé samedi nous ont écoutés avec attention, pas défavorables au projet. Lundi, la question sera débattue par les médecins.
So we decided to request hospitalization at home: a free bed for the hospital, and for me the end of long-prepared journeys – what should I bring, clothes, food…? The nurses to whom we spoke about it on Saturday listened to us attentively, and were not unfavorable to the project. On Monday, the question will be debated by doctors.
Comment expliquer les progrès de Paul ? J’ai réussi moi-même à le faire passer du fauteuil au lit, ce qui lui demande de se tenir debout un instant. Quand il retrouve une commande, toute la force est là. L’orthophoniste ne viendra plus, Paul parle comme avant.
How can we explain Paul’s progress? I myself managed to get him from the chair to the bed, which requires him to stand up for a moment. When he finds a command, all the strength is there. The speech therapist will no longer come, Paul speaks as before.
Mais le tapage nocturne inévitable, les attentes interminables malgré la bonne volonté de tous, c’est épuisant. On attend la suite avec une impatience fébrile. L’aventure de Paul ne fait que commencer, à nous d’écrire une belle page…
But the inevitable nighttime noise, the endless waits despite everyone’s good will, it’s exhausting. We await what follows with feverish impatience. Paul’s adventure has only just begun, it’s up to us to write a beautiful page…