Pauvre ou riche

J’ai trouvé dans mes archives d’autres auteurs dont les préoccupations rejoignent celles de Nell Doff évoquée la semaine dernière.

I have found in my archives other authors whose concerns overlap with those of Nell Doff mentioned last week.

Innimont

Dans « les couleurs troubles de l’enfance », Raphaël Romnée, au long d’une autobiographie écrite à la troisième personne, prend lui aussi ses distances avec Zola :

In « les couleurs troubles de l’enfance », Raphaël Romnée, through an autobiography written in the third person, also distances himself from Zola:


« Dès son entrée en cinquième, il acquiert la conviction que son destin est scellé, que, par hérédité, il est menacé, condamné ; un jour, comme sa mère, il perdra la tête, il deviendra fou. Il est vrai qu’il a déjà lu une grande partie de la saga des Rougon-Macquart (…). Zola y décrit minutieusement les tares dont sont atteints les personnages, tares dont l’origine est à rechercher dans un déterminisme social et psychologique implacable. (…) Ce va-et-vient entre la fiction et son quotidien conduit l’adolescent à chercher des parades, à secréter des antidotes. Il surveille ses réactions, contrôle progressivement son impulsivité.
(…) Pourtant, (…) il n’accepte pas qu’une hérédité fatale conditionne à jamais ses faits et gestes, sa vie, sa mort. Quelques années plus tard c’est dans l’existentialisme de Jean-Paul Sartre qu’il puisera le contrepoison à cet attrait morbide. Ce sont les actes d’un être humain qui forment l’essence de la vie, la voie obligatoire d’un itinéraire programmé n’est pas inéluctable. Une nouvelle fois c’est dans la littérature qu’il trouve des réponses décisives, qu’il extrait une légitimité à sa propre existence. Seul, l’enfant, victime filiale de la maladie mentale de sa mère, victime ignorée et insoupçonnée, a trouvé les chemins d’un équilibre, de son équilibre, fût-il précaire
. »


« As soon as he enters fifth grade, he becomes convinced that his destiny is sealed, that, by heredity, he is threatened, condemned; one day, like his mother, he will lose his mind, he will go mad. It is true that he has already read a large part of the Rougon-Macquart saga (…). Zola painstakingly describes the defects with which the characters are afflicted, defects whose origin is to be sought in an implacable social and psychological determinism. (…) This back and forth between fiction and his daily life leads the teenager to seek remedies, to secrete antidotes. He watches his reactions, gradually controls his impulsiveness.
(…) Yet (…) he does not accept that a fatal inheritance forever conditions his actions, his life, his death. A few years later it was in the existentialism of Jean-Paul Sartre that he drew the counterpoison for this morbid attraction. It is the actions of a human being that forms the essence of life, the obligatory path of a programmed route is not inevitable. Once again it is in literature that he finds decisive answers, that he extracts legitimacy from his own existence. Alone, the child, a filial victim of his mother’s mental illness, an unknown and unsuspected victim, has found the paths to balance, to his balance, however precarious it may be.
 »

Le narrateur parle de contrepoison : ses lectures l’ont d’abord condamné, puis sauvé. Je suis heureuse qu’il dénonce ce soi-disant déterminisme implacable qui chez Zola m’exaspère depuis longtemps.

The narrator speaks of counterpoison: his readings first condemned him, then saved him. I am happy that he denounces this so-called relentless determinism that Zola has long infuriated me.

Cette citation (avec des coupes sombres pour limiter la longueur de mes publications) donne envie, je l’espère, de lire tout l’ouvrage de Romnée : je vous le conseille vivement, c’est de plus une plaisante occasion d’encourager le travail considérable des Édtions Plein Chant.

This quote (with massive cuts to limit the length of my publications) makes you want, I hope, to read the whole book of Romnée: I strongly recommend it, it is also a pleasant opportunity to encourage the considerable work by Édtions Plein Chant.

Le Mont Blanc

Je vous ai parlé de la misère extrême que Neel Doff a connue : elle a réussi à sortir de sa condition, j’ai plaisir à le rappeler – même si le souvenir de son enfance l’a hantée toute sa vie. Frédéric Saenen évoque cette femme remarquable dans le « blog des lettres belges francophones ». Voici le début de son article :

I told you about the extreme misery that Neel Doff knew: she managed to get out of her condition, I enjoy reminding it – even if the memory of her childhood haunted her all her life. Frédéric Saenen mentions this remarkable woman in the « blog des lettres belges francophones ». Here is the beginning of his article:

« On doit à Charles Péguy d’avoir été parmi les premiers à opérer un distinguo entre la pauvreté et la misère. Il expliquait ainsi dans L’Argent que si la première a tout d’un purgatoire qui peut, malgré sa dureté, s’avérer transitoire, la seconde s’apparente à un enfer au seuil duquel est commandé l’abandon de toute espérance de la part de ceux qu’elle frappe, ronge, avilit, tue. »

« We owe to Charles Péguy for being among the first to distinguish between poverty and misery. He thus explained in L’Argent that if the first has everything of a purgatory which can, despite its harshness, turn out to be transitory, the second is akin to a hell at the threshold of which the abandonment of all hope of religion is commanded part of those whom it strikes, gnaws, degrades, kills. »

Entre misère et pauvreté, Paul et moi n’avons choisi ni l’un ni l’autre. Nous observons nos proches, Laurent adepte de la décroissance, et, dans une démarche proche, Séb qui préconise la sobriété heureuse. Je gratte avec la lame d’un couteau le contact de la bouilloire électrique quand elle ne veut plus faire son boulot : nous aurions pu la jeter il y a plusieurs années, et en acheter une neuve sans que cela déséquilibre notre budget, c’est évident. Mais il est moins évident pour moi de remplir les poubelles ou les déchèteries, de contribuer à asphyxier les zones de recyclage ou de destruction des déchets.

Between misery and poverty, Paul and I chose neither. We observe our relatives, Laurent follower of degrowth, and, in a similar approach, Séb who advocates happy sobriety. I scrape the contact of the electric kettle with the blade of a knife when it no longer wants to do its job: we could have thrown it away several years ago, and bought a new one without this unbalancing our budget, it’s obvious. But it is less obvious for me to fill garbage cans or recycling centers, to help suffocate recycling or waste destruction areas.

Nous avons cédé à l’achat d’un téléphone portable, petit modèle qui ne prépare pas le café, ni ne prend notre tension artérielle ni des photos faute de carte adéquate. On trouve ce petit outil à très bas prix, alors que sa fabrication a un impact important sur la planète, à cause de ses composants. Et aussi de la qualité de l’eau utilisée : le secret de son faible coût, c’est donc tout simplement la quantité.

We gave in to the purchase of a cell phone, a small model that does not prepare coffee, does not neither take our blood pressure or nor pictures for lack of an adequate card. This little tool can be found at a very low price, while its manufacture has a significant impact on the planet, because of its components. And also the quality of the water used: the secret of its low cost, therefore, is quite simply the quantity.

La cascade de Luiset

Cela dit, ne nous leurrons pas, les grosses multinationales qui pratiquent avec détermination le pillage des ressources naturelles ont un autre impact. Conscients des problèmes environnementaux, Lolo, Séb, Paul et moi, et d’innombrables autres, nous évitons d’être complices, par exemple dans le choix des produits de consommation, mais à ce jeu-là il est difficile de ne pas être perdant. Le colibri est gentil et motivé, mais des milliards de colibris ne pèsent pas le poids de quelques rouleaux compresseurs.

Having said that, let’s face it, the big multinationals that are determined to plunder natural resources have another impact. Aware of environmental problems, Lolo, Séb, Paul and I, and countless others, we avoid being complicit, for example in the choice of consumer products, but in this game it is difficult not to be a loser . The hummingbird is kind and motivated, but billions of hummingbirds are no match for a few road rollers (steam rollers?).

Trouvez-vous que je mélange tout, Neel Doff d’un côté, les problèmes environnementaux de l’autre ? Pour moi, il y a un lien, et c’est Neel qui le fournit.

Do you think I’m mixing everything up, Neel Doff on the one hand, environmental issues on the other? For me, there is a connection, and Neel provides it.

En sortant de sa condition misérable, Neel Doff découvre la misère intellectuelle. « (…) je commençais à comprendre que si la misère est la plus grande de toutes les calamités, il y a aussi d’autres douleurs que celles du ventre qui crie, et que ce n’est pas tout que d’avoir les pieds au chaud.
Avant mes études, tout se manifestait à moi par des sensations, sur lesquelles je ne parvenais pas à mettre des mots, et, quand j’en trouvais, je n’osais les dire, me croyant bête et absurde. »


Coming out of her miserable condition, Neel Doff discovers intellectual misery. « (…) I began to understand that if misery is the greatest of all calamities, there are also pains other than those of the belly which cries, and that it is not all that to have the feet warm.
Before my studies, everything manifested itself to me through sensations, on which I could not quite put words, and, when I found any, I dared not say them, believing myself to be stupid and absurd. »

Le monde évolue autour de nous à une vitesse fulgurante, et la pandémie en cours n’est qu’un des aspects de ces transformations. Je trouve indispensable de savoir ce qui se passe, j’ai une soif immense de connaissance, d’apprendre jusqu’à plus soif. J’ai peur des comportements irréfléchis dus à l’ignorance.

The world around us is changing at breakneck speed, and the ongoing pandemic is just one aspect of these transformations. I find it essential to know what is going on, I have an immense thirst for knowledge, to learn until my thirst was quenched. I am afraid of thoughtless behavior due to ignorance.

Je ne connais pas « Le Village retrouvé, ethnologie de l’intérieur », écrit par Pascal Dibie, ethnologue. Mais je vais relire son texte écrit près de trente ans plus tard, « Le village métamorphosé, révolution dans la France profonde ». Là comme ailleurs, tout change, on a la sensation que tout nous échappe… Pascal Dibie y cite Walter Benjamin : « …Nous sommes devenus pauvres. Nous avons sacrifié, morceau après morceau, l’héritage de l’humanité et souvent nous l’avons mis au clou pour le centième de sa valeur afin de recevoir en contrepartie la petite monnaie de l’actuel. (…) L’humanité se prépare à survivre s’il le faut à la culture. Et l’essentiel c’est qu’elle le fait en riant. Il est fort probable qu’ici ou là ce rire rende un son barbare. »

I do not know « Le Village retrouvé, ethnologie de l’intérieur », written by Pascal Dibie, ethnologist. But I am going to reread his text, written almost thirty years later, « Le village métamorphosé, révolution dans la France profonde ». There, as elsewhere, everything changes, we have the feeling that everything escapes us… Pascal Dibie quotes Walter Benjamin: « … We have become poor. We have sacrificed, piece by piece, the heritage of mankind and often we pledged it down for a hundredth of its value in order to receive in return the small change of the present. (…) Mankind is preparing to survive if necessary to culture. And the main thing is that it does it while laughing. It is very likely that here and there this laughter makes a barbaric sound. »

Je trouve nécessaire de regarder ce monde qui change, même si cela peut être angoissant : j’ai besoin de le comprendre. Ces recherches multiples et ces considérations inquiètes ne nous empêchent pas de profiter de notre existence tranquille. Je ne vous raconte pas nos nombreuses balades avec des mots, mais avec des photos…

I find it necessary to watch this changing world, even if it can be scary: I need to understand it. These multiple searches and these worried considerations do not prevent us from enjoying our quiet existence. I’m not telling you about our many walks with words, but with photos …

Ce blog est hébergé par Dom : avez-vous remarqué l’absence de publicité ? C’est à lui qu’on la doit… Je lui ai dit que certains de mes lecteurs ne pouvaient plus accéder au blog, alors il a fait un travail considérable de mise à jour (entre autre, 5 Go de photos à restaurer !). J’ai maintenant accès à une mise à jour de wordpress que je ne maîtrise pas du tout, d’où les changements très visibles ! Bonne lecture, quand même…

This blog is hosted by Dom: Did you notice the lack of advertising? He is whom we owe … I told him that some of my readers could no longer access the blog, so he did a lot of updating (among others, 5 GB of photos to restore!). I now have access to a wordpress update that I have no knowledge of at all, hence the very visible changes! Happy reading, anyway …

Bénonces

6 réflexions sur « Pauvre ou riche »

  1. Tu as un téléphone qui ne photographie pas mais tu as un excellent appareil photo, probablement grand luxe … pour notre plus grand plaisir !

    • Mon petit Canon, c’est un cadeau de Paul, pour un anniversaire précédent, petit à transporter mais qui fait en effet de belles prises de vue. Bon, ok, il me reste à cadrer…

  2. Moi je défendrai plutôt Zola, dont j’ai lu la moitié ( les 10 premiers tomes des Rougon-Macquart).
    Ceux qui m’ont vraiment marqué sont l’Assommoir et Le ventre de Paris.
    Celui qui m’a moins convaincu : Au bonheur des dames
    Mais dans l’ensemble ses romans valent d’être lus , malgré leur pessimisme chronique

    • Les bouquins de Zola sont très bien écrits et se lisent facilement. Il a effectivement précédé chacun d’eux par une étude extrêmement poussée du contexte dans lequel il situait son roman. Ses récits sont réalistes, MAIS ses héros ne pourront jamais sortir de leur condition, je parlais de déterminisme implacable, ou plutôt j’ai fauché les mots à Raphaël Romnée. Or, Romnée, parmi d’autres, s’est cru marqué par ce déterminisme… jusqu’à la lecture de Sartre qui l’a libéré. Je reproche à Zola d’avoir fait passer ce message-là, celui du déterminisme. C’est mon seul reproche, peut-être a-t-il par ailleurs contribué à faire connaître à son public des situations dramatiques que les autres auteurs n’évoquaient pas.

    • Merci d’apprécier. Connaissant ton état de santé, je le confirme : tu ne pourrais pas nous suivre dans nos cavales et je le regrette vivement pour toi.

      Cela dit, des gens de toutes sortes vivent à la campagne, selon la forme qu’on a, ou qu’on n’a pas, il faut toute une logistique pour gérer le quotidien.

      Ici, les hivers sont longs et gris : j’ai mis des années à m’y habituer en arrivant dans le coin !

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