J’ai été élevée dans une ambiance raciste de bon aloi. Je veux dire qu’il ne s’agissait pas de Ku Klux Klan, mais de la certitude que l’on m’avait inculquée de l’infériorité des Noirs. Je veux dire que cela semblait tellement naturel, évident, comme l’infériorité des femmes ou des personnes handicapées ! Et ce ne sont pas les stupidités de la comtesse de Ségur qui m’auraient ouvert l’esprit !
Si j’ai horreur de me rappeler que j’ai pu penser comme cela, je comprends aisément comment l’arrogance et l’ignorance du Blanc l’ont poussé à « civiliser » les peuples « sauvages » d’Afrique. Comment les invasions européennes ont pu déferler sur le continent. Comment le petit enfant de là-bas, une fois scolarisé, répétait docilement « nos ancêtres les Gaulois ».
I I’ve been raised in a healthy racist environment. I mean it wasn’t about the Ku Klux Klan, it was about the certainty I had been instilled in of the inferiority of Black People. I mean it seemed so natural, obvious, like the inferiority of women or disabled people! And it wasn’t the Comtesse de Ségur’s stupidities that would have opened my mind!
If I hate to remember that I could think like that, I easily understand how the arrogance and ignorance of the White Man pushed him to « civilize » the « savage » peoples of Africa. How European invasions were able to sweep across the continent. How the little child over there, once schooled, obediently repeated « our ancestors the Gauls ».
Je ne résiste pas au plaisir de recopier la présentation que fait Babélio du livre de François Reynaert : « nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises » :
« Nous avons tous appris un jour que Clovis était le premier des rois de France. Qui sait qu’en Allemagne, il est considéré comme un roi allemand ? De Saint Louis, on garde l’image d’un grand souverain, rendant la justice sous son chêne. On ignore qu’il imposa aux Juifs de porter l’équivalent de l’étoile jaune. Jeanne d’Arc est la grande héroïne du Moyen Âge. Pourquoi a-t-on oublié toutes les autres ? »
I can’t resist the pleasure of copying Babelio’s presentation of François Reynaert’s book: « nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises », « our ancestors the Gauls and other nonsense »:
« We all learned one day that Clovis was the first of the kings of France. Who knows that in Germany he is considered a German king? From Saint Louis, we keep the image of a great sovereign, dispensing justice under his oak tree. It is not known that he required Jews to wear the equivalent of the yellow star. Joan of Arc is the great heroine of the Middle Ages. Why have we forgotten all the others? »
L’Afrique est immense, son histoire est complexe et je n’en connais pour ainsi dire rien. La première guerre mondiale a été l’occasion d’aller chercher de la chair à canon dans des régions « françaises ».
La langue « petit nègre », créée au milieu du dix-neuvième siècle, s’est alors montrée très utile pour transmettre des ordres simples à des personnes d’ethnies diverses parlant des langues diverses.
Africa is huge, its history is complex and I know virtually nothing about it. The First World War was an opportunity to go for cannon fodder in « French » regions.
The « little nigger » language (« petit nègre », pidgin), created in the mid-nineteenth century, then proved to be very useful for transmitting simple commands to people of various ethnicities speaking various languages.
« Selon la linguiste Laélia Véron, » nous dit Wikipédia « le français dit “petit nègre” est issu d’une idéologie coloniale et visait en fait à “enseigner un sous-français à des personnes auxquelles on ne voulait pas donner la citoyenneté française”. »
« According to linguist Laélia Véron, » Wikipedia tells us, « the so-called “petit nègre’” French came from a colonial ideology and was actually intended to “teach a sub-French to people to whom we did not want to give French citizenship”. »
En Afrique, on ne voyait jamais de Blancs malades, puisque dans ce cas ils étaient rapatriés. Beaucoup d’Africains on cru que nous étions des Dieux… Jusqu’au jour où ils sont venus se battre en France. Ont découvert la misère. Ont vu à leurs côtés d’autres pauvres poilus, blessés comme eux, mourant comme eux.
In Africa, they never saw sick White Men, since in this case they were repatriated. Many Africans believed that we were Gods… Until the day they came to fight in France. They discovered misery. They saw other poor « poilus » alongside them, wounded like them, dying like them.
Tout cela se bouscule dans ma tête quand mon père me parle de la candidature de madame Taubira : il n’aimerait pas qu’un.e basané.e devienne président.e de la république française dit-il. Que Christiane Taubira soit née en Guyane ne change rien à l’affaire.
All this jostles in my head when my father tells me about the candidacy of Madame Taubira: he would not like a swarthy person to become president of the French republic, he says. Christiane Taubira being born in Guyana does not change the matter.
Que dire à un homme âgé de 95 ans ? Que tout ce qui touche de près ou de loin à l’Afrique est traité avec condescendance ? Que c’est vil de ne pas accorder la même considération aux êtres humains à cause de leur apparence ? Que si c’est pour refuser à madame Taubira ses chances en France, alors il ne fallait pas se mêler des affaires des Africains ?
What to say to a 95 year old man? That everything related directly or indirectly to Africa is treated with condescension? That it is vile not to give equal consideration to human beings because of their appearance? That if it is to deny Madame Taubira her chances in France, then one should not meddle in the affairs of Africans?
Je ravale ma colère et je dis à papa que je souhaite photographier Djilluli : mon grand-père, combattant de 14/18, a peint ce portrait. À quoi pouvait bien penser cet homme, ce 22 février 1917 ? Dans quelle langue ? A-t-il survécu jusqu’à la fin des combats, a-t-il pu retourner chez lui ? Dans le contexte de la guerre, je suis persuadée qu’il n’était pas français de souche.
« Djilluli dit Blanchette en sentinelle au poste de police – Paars (Aisne) 22 février 1917 (9 heures) »
I swallow my anger and tell dad that I want to photograph Djilluli: my grandfather, a 14/18 fighter, painted this portrait. What could this man be thinking, this February 22, 1917? In what language? Did he survive until the fighting was over, was he able to return home? I am convinced that he was not of French origin because of the context of the war.
« Djilluli called Blanchette (The White) on sentry duty at the police station – Paars (Department of Aisne) February 22, 1917 (9 a.m.) »
Cette visite à mon père n’a pas été en permanence sous tension, heureusement. Chaque fois que je vais le voir, je lui demande où il souhaiterait aller, puisqu’il ne peut plus se déplacer seul. Alors il propose de tenter l’aventure du platane : quand j’étais petite, nous avons campé là si souvent ! Parfois nous étions les seuls, parfois d’autres promeneurs profitaient du bord de l’eau.
This visit to my father was not permanently under tension, fortunately. Every time I go to see him, I ask him where he would like to go, since he can no longer move on his own. So he suggests trying the adventure of the plane tree: when I was young, we camped there so often! Sometimes we were the only ones, sometimes other walkers were enjoying the waterfront.
La balade est une épreuve difficile pour lui. Quand on n’y voit presque rien, marcher dans les cailloux est pénible et dangereux.
The walk is a difficult test for him. When you can hardly see anything, walking in the stones is painful and dangerous.
Comme deux yeux vigilants au pied de la falaise, ces deux abris sous roche ont toujours été mon repère.
Like two watchful eyes at the foot of the cliff, these two rock shelters have always been my landmark.
Nous arrivons finalement à destination, sans nous presser. J’ai toujours connu ce platane, je suis étonnée qu’il ne soit pas plus imposant. Sa forme est bizarre, il a dû être taillé sévèrement. Autrefois je bâtissais des châteaux de sable à son pied, le sable a été emporté par l’érosion.
We finally arrive at our destination, without hurrying. I have always known this plane tree, I am surprised that it is not more imposing. Its shape is odd, it had to be sharply pruned. I used to build sand castles at its foot, the sand has been washed away by erosion.
Un autre jour, nous retournons explorer le bois du Laoul où je suis déjà venue avec lui une autre année dans l’espoir de trouver des pivoines : nous n’en avions pas vu une seule. Aujourd’hui, je ne trouve rien dans un premier temps, et nous explorons les abords de la chapelle de Chalon avec ses vieux chênes imposants. Quand nous repartons, je vois la première pivoine, et à partir de ce moment-là j’en trouve des quantités ! En plus des sceaux de Salomon et d’un narcisse perdu tout seul sur le bord du chemin, les pivoines abondent. Un promeneur nous indique un endroit où elles sont innombrables : ce chemin-là n’est pas pour nous mais nous sommes contents de leur présence, tout en nous demandant comment ces « pæonia peregrina » se sont installées ici.
Another day, we return to explore the Bois du Laoul where I have already come with him another year in the hope of finding peonies: we had not seen a single one. Today, I find nothing at first, and we explore the surroundings of the chapel of Chalon with its old imposing oaks. When we leave, I see the first peony, and from then on I find lots of them! In addition to Polygonatum odoratum and a narcissus lost all alone on the side of the road, peonies abound. A walker tells us a place where they are innumerable: this path is not for us but we are happy with their presence, while wondering how these « pæonia peregrina » settled here.
Je n’ai pas respecté la chronologie pour vous faire le récit de mes palpitantes aventures. Fin mars, après avoir longuement réfléchi, cherché des informations et même téléphoné, Paul était prêt pour une expédition à Lyon. Au lieu de prendre les transports en commun comme d’habitude, nous nous sommes garés dans le quartier de la Croix-Rousse au plus près de notre destination. C’est là que Paul avait acheté son accordéon il y a une quinzaine d’années. Il est toujours content de son Maugein, mais celui-ci n’a que deux rangées de notes à main droite. Ce qui est parfait pour un débutant et pour un certain style de musique est devenu insuffisant parfois, par exemple pour m’accompagner quand je chante. Nous sommes donc allés regarder de près un Castagnari, « la rolls des accordéons » nous a dit le vendeur. Paul avait eu tout le temps nécessaire pour savoir très exactement ce qu’il lui fallait. Le Castagnari est un peu plus gros donc un peu plus lourd que le Maugein, mais il correspond à ce dont Paul a besoin. Il n’a pas hésité longtemps, nous sommes partis avec son trésor…
I did not respect the chronology to tell you the story of my thrilling adventures. At the end of March, after having thought for a long time, sought information and even telephoned, Paul was ready for an expedition to Lyon. Instead of taking public transport as usual, we parked in the Croix-Rousse district closest to our destination. This is where Paul bought his accordion about fifteen years ago. He is still satisfied with his Maugein, but this one has only two rows of notes on the right hand. What is perfect for a beginner and for a certain style of music has sometimes become insufficient, for example to accompany me when I sing. So we went to have a close look at a Castagnari, « the Rolls of accordions » the salesman told us. Paul had had plenty of time to know exactly what he needed. The Castagnari is a little bigger and therefore a little heavier than the Maugein, but it corresponds to what Paul needs. He didn’t hesitate long, we left with his treasure…
Nous avions la voiture pour éviter de transporter l’accordéon dans le métro. J’appréhendais ces trajets en ville mais je préférais que Paul me guide, plutôt que d’avoir à le guider moi-même. À ma grande surprise, circuler dans le centre de Lyon a été une partie de plaisir, tout s’est très bien passé.
We had the car to avoid transporting the accordion in the metro. I dreaded these trips in town but I preferred that Paul guide me, rather than having to guide him myself. To my great surprise, driving around the center of Lyon was a lot of fun, everything went very well.
Cela va faire un mois et Paul a bien apprivoisé ce bel instrument. Nos moments musicaux ne sont pas intéressants à raconter, mais nous sommes restés bien assidus. Nous travaillons chant et accompagnement chaque jour et quand je ne suis pas là, Paul travaille autrement.
It’s been a month and Paul has tamed this beautiful instrument. Our musical moments are not interesting to tell, but we remained very assiduous. We work on vocals and accompaniment every day and when I’m not there, Paul works differently.
Nous avons rencontré un autre accordéon. Celui qui en joue, c’est François Gaillard. Pendant qu’il joue et qu’il chante, sa compagne, Marie Bobin, dessine et peint. Ce qu’elle fait est projeté sur un écran et le public assiste en direct à l’élaboration de l’œuvre. J’ai trouvé très amusante la possibilité d’acheter les œuvres, car à la fin du spectacle, elles sont encore fraîches : l’encre et la peinture continuent de couler… Je n’ai pas voulu empêcher les spectateurs enthousiastes de se manifester, j’ai essayé d’être brève, et François a tout de suite donné son accord pour passer le lendemain visiter les lieux dans l’idée que tous deux viennent se produire un soir dans le parc. Le lendemain, la visite les a enthousiasmés. Des idées folles ont commencé à jaillir. Certes, notre programme de spectacles est déjà bouclé pour l’année en cours, mais nous espérons très fort mitonner ensemble un projet délirant. Je termine avec quelques mots au sujet de Séb dont les projets se précisent. Il lance une levée de fonds pour éditer son quatrième roman, je l’encourage avec enthousiasme. C’est l’occasion de me replonger dans ce beau texte. Pour vous, c’est la possibilité d’en lire le début et de participer si cela vous intéresse.
Je vous invite à aller fouiner, écouter, regarder les richesses de leur beau site. Marie organise aussi des stages de dessin. Et comme ce sont des vadrouilleurs dans l’âme, le spectacle s’appelle « Tracer la route. »
We encountered another accordion. The one who plays is François Gaillard. While he plays and sings, his companion, Marie Bobin, draws and paints. What she does is projected on a screen and the public witnesses the development of the work live. I found the possibility of buying the works very amusing, because at the end of the show, they are still fresh: the ink and the paint continue to flow…
I invite you to browse, listen, look at the riches of their beautiful site. Marie also organizes drawing courses. And since they are wanderers at heart, the show is called « Tracer la route. »
I didn’t want to prevent the enthusiastic spectators from showing up, I tried to be brief, and François immediately gave his agreement to come the next day to visit the place with the idea that the two of them would come to perform one evening in the park. The next day, the visit thrilled them. Crazy ideas started popping up. Admittedly, our program of shows is already completed for the current year, but we very much hope to cook up a delirious project together.
J’aime beaucoup son style d’écriture, il plonge au plus profond de l’âme et on peut se laisser emporter.
I will end with a few words about Séb, whose projects are taking shape. He is launching a fundraiser to publish his fourth novel, I encourage him enthusiastically. This is an opportunity to immerse myself in this beautiful text. For you, it’s the opportunity to read the beginning and participate if you’re interested.
I really like his style of writing, it dives deep into the soul and you can get carried away.
Merci pour la très belle poésie humaniste dont cette chronique est empreinte.
Le terme de « poésie » m’a surprise, mais joint à humaniste, ça le fait ! Merci d’apprécier.
Que de belles ballades ! Chez moi, les pivoines sont à peine en boutons
« Mes » pivoines se trouvent au sud du quarante-cinquième parallèle… Mon père habite d’ailleurs dans une région dont je pourrais appeler le climat « pré-méditerranéen », puisqu’il fait encore plus chaud l’été, plus au sud…
Superbe la photo de mon petit frère accordéoniste.
J’ai eu un peu de mal, j’ai fait pas mal de prises de vue jusqu’à ce qu’il oublie la présence de l’appareil et ne se consacre plus qu’à son bel accordéon !
« Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. »
Léopold Sedar Senghor
Oui, bien sûr, mais il faut voir le point de vue économique : aux États-Unis, les Blancs pauvres sont particulièrement racistes à l’égard des Noirs pauvres qu’ils considèrent comme des concurrents. Relisons Marx : la disparition du patronat pourrait être bénéfique pour les pauvres quelle que soit leur couleur.
Cela dit, la formule de Léopold Sedar Senghor est joliment trouvée !
Au fait… je dis exactement la même chose que toi (ou plutôt que Senghor) !